T'es jeune. T'es amoureux. C'est beau. C'est doux. C'est magique. Pour rien au monde, tu ne voudrais te séparer de cette personne incroyable qui fait de ton quotidien un instant unique. Irremplaçable. Tu ne jures que par elle. Ne vois qu'elle. Ne voudrais te damner que pour elle. Tu l'aimes, c'est le plus important. Alors un jour, tu décides de sauter le pas. D'officialiser cette union. Et d'entrer dans ce monde qui te paraissait auparavant si inaccessible et incompréhensible. Le monde des gens mariés. Le mariage. Le plus beau jour de ta vie certainement. Parce que oui, au risque de faire cliché, tu cries sur tous les toits que le jour où tu t'es marié, tu t'es senti vivre pour la première fois. C'est beau. Et tout le monde envie ton bonheur. Mais tu t'en fous d'eux. T'es heureux avec ta femme, et c'est ce qui compte. Et puis, dans l'ordre des choses vient l'enfant. L'apogée du bonheur. Le summum de la famille parfaite et épanouie. Désormais, tu as une raison de vivre. Ce petit bout qui agite ses menottes potelées comme pour te supplier de le prendre dans tes bras. Cet être fait de ton sang. De ta chair. Et, les années passent. Ton petit cocon de bonheur est toujours intact. Et pourtant... Et pourtant, ta nature revient au galop. Charmeur invétéré. Tu flirtes. Tu comptes fleurette à ces dames et les fais tomber sous ton charme. Oui, tu commets une erreur. Et tu le sais. Mais tu continues. Tu veux te montrer fort. Invincible. Tu as voulu te jouer du sort. Mais il t'a piégé. Le divorce a été prononcé. Et la seule chose que tu ressens. C'est le regret. Dévastateur. Cynique. Il te ronge de l'intérieur. Mais le pire, c'est cette idée de les perdre. Ceux que tu aimes. Imaginer une existence où ils te haïssent est pire que la mort.

Assis derrière son bureau, William ne tient plus. Le divorce a été prononcé, il y a quelques semaines déjà. Et Rose semble vraiment obstinée à le mener à bien. Plus rien n'est comme avant. A cause de lui. A cause de ses conneries. Il a eu l'occasion de croiser Rose lorsqu'il était revenu chercher quelques affaires. La haine et la colère qu'il vit briller dans ses yeux était la pire souffrance que l'on puisse lui infliger. Comme avait-il pu les précipiter ainsi dans le gouffre. Il regrettait. Amèrement. S'il seulement il pouvait retourner en arrière. Changer sa conduite. Etre ce mari exemple. Si seulement, oui... Il n'a pas revu Théo depuis. Et il faut l'avouer, William a peur. Oui cet homme si sûr de lui, si fier a peur. Il a peur de perdre ceux qu'il aime. Son fils en particulier. Il arriverait à supporter la perte de Rose. Parce qu'elle mérite peut-être mieux. Parce qu'elle mérite d'être heureuse. Mais Théo. Son fils. "Théo, je sais que ta mère t'as mis au courant pour le divorce. Je sais pas ce qu'elle t'a dit, mais je veux pouvoir m'expliquer avec toi. Rejoins-moi au label, ok?" Envoyé. Imaginer une seule seconde que Théo puisse le haïr à vie pour son comportement de connard suffit à lui faire avoir des sueurs froides. Jamais il ne pourrait vivre en sachant que son fils le déteste pour avoir provoquer la rupture de ses parents. Jamais. Il redoute la réaction de son fils. Il faut qu'il lui explique. Il faut qu'il sache que jamais il ne l'abandonnera. Il dépose son portable sur son bureau et se passe les mains sur le visage dans un soupir las. Bon sang, dans quel pétrin s'est-il mis ? Et il attend. Il attend désespérément. Son fils. Un changement. Un miracle. Va savoir.

Vérifier ses mails. Regarder la pluie battant contre la fenêtre. Fumer une clope. Lire sans grande conviction les papiers administratifs. Esquisser désespérément le prénom de Rose sur un bout de papier. Revérifier ses mails. Regarder à nouveau cette pluie qui ne semble pas prête de s'arrêter dans son désastre. Fumer une nouvelle clope. Ranger ces papiers administratifs qui ne font qu'attiser son état de stress, déjà au maximum. A contre coeur, jeter son prénom dans la poubelle. L'attente lui semble interminable. Longues minutes qui s'éternisent. Le tic tac de l'horloge accrochée au mur lui rappelle sournoisement que l'heure est arrivée. Il est temps pour lui de mettre les choses au clair. De s'expliquer. Et pour une fois dans sa vie, d'être honnête. Il avait menti tant de fois à sa femme. Tant de fois à son fils. Tant de fois à leur entourage. Tant de fois à lui même. Pour une fois, il était temps qu'il prenne conscience de ses erreurs. D'assumer les conneries qu'il a commises. De ne pas se cacher derrière de piètres tissus de mensonges. Ils valent mieux que ça. Ils méritent mieux que ça. Pour le mal qu'il lui a causé et pour le mal futur qu'il va leur causer, il mérite la vérité. Ses temps battent inlassablement sous le coup de l'anxiété. Oui, il est anxieux. Il appréhende ce moment où Théo entrera dans son bureau et où il devra tout lui expliquer. De a à z. Le pourquoi du comment. William se lève de sa chaise de bureau. Il ne tient plus en place. La peur le dévore. Petit à petit. Le tiraillant de tous les côtés. Lui faisant imaginer des scénarios atroces. Et si dire la vérité mettait plus en péril leur complicité que s'il l'occultait. Et s'il décidait de nier le fait qu'il a été infidèle et donner une tout autre raison. Et si..

« P'pa ? C'est Théo. J'suis arrivé. » Son coeur rate un battement. Il ferme alors les paupières et presse sur cette infime couche de peau du bout de ses doigts. Peut-être que quand il les rouvrira, il se réveillera. Et tout ça, toute cette tourmente, cessera enfin et les laissera tranquilles dans leur cocons de bonheur. Mais lorsqu'il rouvre les yeux et perçoit le pas de son fils montant l'escalier, il conçoit durement que l'heure fatidique est arrivée. « J'ai apporté des restes de lasagne, c'est la mère de Simon qui la faîte. Délicieuse, je t'assure. » Et il entre dans le bureau. Cela faisait quelques semaines que William n'avait plus revu son fils. Rien que le fait de le trouver là, devant lui, dissipe toutes ses craintes. C'est comme au bon vieux temps. Quand il venait le rejoindre et qu'ils partageaient ensemble une part de pizza tout en écoutant du bon vieux rock. Et ils parlaient de tout et de rien, jusqu'aux petites heures. C'était le bon vieux temps. Et l'idée que ces instants puissent être relégués à l'état de souvenirs suffisait à ce qu'il ait des sueurs froides. Bon sang, et dire qu'il y avait une chance sur deux pour que cette relation s'écroule elle aussi. « De la lasagne ? Ca tombe bien je meurs de faim ! » Mensonge. Certes, il n'avait rien mangé de toute la journée mais son estomac est bien trop noué pour qu'il puisse avaler quoique ce soit. Mais il ferait un effort. Si ça pouvait retarder le moment où il devrait parler... Ou pas, évidemment. Il s'approche alors de son fils et d'un mouvement de la tête, l'incite à le suivre. Il descend les escaliers, Théo sur ses talons. Ils dévalent quelques couloirs avant d'entrer dans la petite cuisine dont dispose le label. On ne peut pas dire que c'est le grand luxe, mais ça suffit amplement aux besoins de toute l'équipe, faisant de cet endroit, un lieu plus convivial qu'il n'y paraît. Il se tourne vers Théo. « Tu me passes la lasagne ? » demande-t-il d'une voix bien trop enjouée. Il tend la main vers son fils. Lorsque ce dernier déposa un emballage dans ses mains, William se retourne et ouvre la porte du four à micro-ondes entreposant avec délicatesse la lasagne. Il referme la porte lentement. Prendre son courage à deux mains. Assumer ses erreurs. Lui dire la vérité. Il se tourne à nouveau, s'adosse contre le plan de travail et fixe Théo intensément. Prendre son courage à deux mains. « Je... On ne va pas tourner autour du pot bien longtemps. Je suppose que tout ne doit pas être clair pour toi et.. tu mérites de savoir. » Il pousse un long soupir. Assumer ses erreurs. « Si ta mère et moi on s'est séparé, c'est entièrement de ma faute. Je regrette sincèrement ce que j'ai fait et si je le pouvais, je remonterais en arrière pour pouvoir changer ce que j'ai fait et évité de faire les mêmes erreurs. » Lui dire la vérité. Alors qu'il s'apprête à ouvrir la bouche, la sonnerie du four à micro-ondes retentit. Il fronce les sourcils. Sauvé par le gong ne peut-il s'empêcher de penser. Il sort la lasagne et la répartit de manière égalitaire dans deux assiettes. Il les dépose sur la table, sort des couverts d'un tiroir ainsi que des verres et une bouteille d'eau. Et enfin, il s'assoit à table et entreprend de manger cette lasagne. Il peut la sentir. Cette tension désagréable. Celle qu'il redoutait. « Tu avais raison, elles sont les délicieuses. Tu pourras dire à la mère de ton ami que c'est un vrai cordeau bleu. » lâche-t-il dans un rire sans joie qui s'éteint lentement dans la pièce.